Peut-être

Peut-être que si l’on arrêtait de ne pas appeler les choses par leur nom, on prendrait plus facilement en compte la vérité et on trouverait les moyens pour y faire face. Ainsi il ne faut pas dire ville pauvre mais ville populaire. Marseille n’a rien de populaire. Ne disons pas non plus quartier pauvre mais quartier défavorisé. Défavorisé par qui au fait ? Disons les émanations de CO2 des voitures polluent la cité plutôt que gaz immondes qui noircissent la ville. Arrêtons là la litanie, il serait long et fastidieux de tout énumérer.

TRIANGLE DES BERMUDES
Il fut un temps où la politique urbaine de Marseille était limpide : il fallait arriver par les moyens de transports modernes au cœur de la cité. Ainsi l’autoroute Nord devait rentrer comme une lame au plus près de la gare Saint-Charles. Vraiment comme une lame, un coup de sabre qui a tranché dans le vif la chair de la ville et ses habitants pour que des boîtes métalliques roulantes, hurlantes et puantes qui crachent leur pourriture noire puissent arriver au plus près du Vieux-Port. Mais pourquoi faire ? Il en fut créé une sorte de triangle des Bermudes urbain puisque tout ce qui était de l’autre côté du faisceau ferroviaire ou autoroutier se retrouva séparé de ce triangle par ces deux immenses cicatrices absolument infranchissables.

LES PORTES
On n’arrive pas à la Belle de Mai par le bas de la ville topologiquement parlant mais par le haut. Que l’on parte du Vieux-Port ou du Sud, on monte à St-Charles et on doit traverser deux tunnels où on ne voit même pas ses pieds pour arriver vers à peu près rien sans savoir du tout où l’on se trouve. Si on entre alors il faut travailler les entrées, les portes, les perrons, que ces accès marquent de manière élégante et civilisée, presque polie l’accueil à ce quartier. Les seuils sont évidents. Il faut donc les magnifier. La première priorité est par conséquent de tenter de régler cette sorte de gageure parfaitement incongrue qui est de désenclaver le quartier le plus au centre de la cité.

LES RUES
Heureusement, le temps de l’éradication de la mémoire et de l’histoire d’un lieu à coups de grands tracés héroïquement stupides autant que terriblement violents est révolus. Alors comment pouvons-nous repenser ce quartier à la fois en mutation (friches pôle média, archives, etc) mais aussi en stagnation ? La ville est une matière vivante, comme l’eau d’une rivière. Si elle ne circule pas, elle meurt. Comment redonner là où cela est nécessaire de la qualité à la rue est en faire le cordon ombilical de la ville, sa chaleur, le seul et unique véritable réseau social physique et pas numérique. Que la ville soit connectée serait un évident progrès. Mais que les gens puissent physiquement échanger et partager, se toucher sans se planquer derrière un clavier serait un progrès encore plus significatif. Il peut s’agir de toutes petites choses.

ARRANGER
Un cahier de préconisations, pour refaire les façades non pas comme dans les livres d’histoire mais comme les gens et le temps les ont habités. Arranger ce qui va, supprimer ce qui ne marche pas, prendre le temps et en donner, comprendre et ressentir la qualité d’un lieu, ce qui en fait sa vie, balayer toutes formes d’apriori et d’idées préconçues.

RANGER
Ranger les voitures. Trouver où cela est possible, de la place pour créer des petits parkings silo. Des parkings municipaux offrant un bail emphytéotique avec obligation à l’exploitant d’y installer des services de proximité. Crèche, police municipale, centre social, petite médiathèque, jeux, etc… Tout ce qui peut offrir un service qui ainsi et à cet endroit n’existe pas.

ÉQUIPER
Ne plus avoir peur de planter un arbre ici, mettre un banc là ou deux même, un panneau de basket ici, un terrain de boule là. Une borne wifi aussi comme il se doit. Le travail est rare et n’occupe plus grand monde à plein temps. Ou les gens se morfondent et aiguise leur aigreur dedans, ou bien ils sortent et vivent un peu plus sereinement.

VILLAGE
Il ne faut pas penser que tout à coup, par le truchement d’opérations immobilières génériques et impersonnelles, la Belle de Mai sera plus belle. Au mieux, il ne pourrait s’agir que d’un lifting bon marché qui pétera avant même que l’on ait le temps de souffler. Le fait est que Marseille abrite à la fois le quartier le plus riche de France mais aussi le plus pauvre ne va pas changer du jour au lendemain. Et si, pour une fois, la nécessaire montée en gamme de ce quartier n’était pas synonyme d’une augmentation spectaculaire de la pression foncière et financière ? Se pourrait-il qu’un quartier de 140 ha soit repensé de sorte que les habitants ne soient pas obligés de migrer encore vers des quartiers plus pauvres ou défavorisés donc, mais que d’autres aient envie de l’habiter ? Se pourrait-il qu’un quartier pauvre ne soit plus défavorisé justement mais revalorisé pour ce qu’il est, pour sa capacité à offrir des espaces publics soignés. Des endroits pour ranger sa voiture, des lieux où il fait simplement bon vivre. Ça n’est pas synonyme de lieux chers, bien au contraire.

MÉTROPOLITAIN
Village certes mais aussi quartier d’une ville qui bouge enfin. Quartier qui abrite des équipements aujourd’hui reconnus et d’autres qui le seront à n’en pas douter. La caserne du Muy est un endroit inouï, une aubaine ! Quelle autre ville peut se targuer de pouvoir imaginer 7 ha de liberté en son Cœur ? Alors gageons que la Belle de Mai par son exemplarité et son humilité ambitieuse sera le premier quartier de la plus grande Métropole de France.

Matthieu Poitevin