Les architectes doivent devenir les acteurs engagés pour construire la ville à venir

Le Festival de la Ville –autrement- est un lieu unique, un lieu puissant de jeux de joutes et d’échanges, de dissensus parfois. Il est la chambre d’échos de toutes celles et ceux qui estiment que la ville peut et doit devenir l’avenir du plus grand nombre, pour montrer et démontrer la puissance des idées et des refus d’obéir qui émergent partout. À bien des égards, l’édition 2024 revêt le titre « NON ! ». 
Dans cette tribune, Matthieu Poitevin, architecte et directeur du Festival de la Ville explique pourquoi l’architecture doit se mettre au service de l’intérêt général.

C’est l’essence même de la création. Comprendre le problème au-delà de la question et trouver la ou les clés.

Le monde marche sur la tête, la France elle l’a tout bonnement perdue. Il n’y a pas vraiment de domaine où il est beau ce monde. Économiquement, il ne cesse de creuser des ravins d’inégalités sociales. Culturellement, il n’est plus que dans des caricatures de postures, il y a un océan pour renouer avec la création. Politiquement, nos élites sont tellement incapables de poser un projet de société, qu’elles secouent des hochets gigantesques et grotesques pour détourner l’attention du public. Elles espèrent ainsi camoufler la gigantesque vacuité de leurs propositions. 

En conséquence, nous assistons à l’outrance des guerres les plus sordides et les plus cyniques, à la crispation des politiques sur leur pouvoir minuscule avec une conception totalement désuète de la politique, au mieux monarchique, au pire tyrannique, dans un climat de bascule de l’ordre de mondial dont l’Occident ne semble pas prendre la mesure. La France devrait se souvenir qu’elle est un pays de culture, une terre d’accueil et la matrice des droits de l’homme…

Ce qui nous noue 

Ce qui se joue en ce moment est un moment crucial de notre temps qui va déterminer l’avenir et peser sur l’Europe. Ce qui se joue n’est pas simplement « être contre » untel ou unetelle, parce que rien n’est plus facile que d’être contre, ce qui se joue, donc, c’est « être pour ». Pour un changement de paradigme profond, absolu, total. 

« Il faut revenir de toute urgence à ce qui nous lie, ce qui nous « noue » »

La pensée étriquée du « nous d’abord » ne peut en rien être une solution, quel que soit le « nous ». Il faut revenir de toute urgence à ce qui nous lie, ce qui nous « noue », c’est-à-dire : comment faire en sorte que cette planète soit encore habitable ? d’un point de vue climatique, environnemental, social, sociétal, etc. Et ne pas croire que les institutions sont éternelles, acquises : il faut au contraire, plus que jamais, les défendre chacun avec nos armes ! 

Le reste est secondaire, vraiment. La marche vers l’inéluctabilité des catastrophes est une fatalité. Les raisons en sont connues et reconnues lorsque les systèmes politiques ont sonné le glas de l’intérêt général au profit d’une infime minorité de personnes.

Ici, les projets toujours plus grotesques déniant toutes considérations climatiques et où les pharaons passeraient, en comparaison, pour de humbles bâtisseurs de cabanes, tentent de fleurir dans les royaumes du pétrole. Là, des villes se répandent à perte de vue avec toujours plus de béton et de plastique… Tout doit être pensé avec pour obsession de redonner une capacité à cette planète d’être habitable dignement par celles et ceux qui s’y trouvent et l’abîment quotidiennement !

Chemins de traverse

Alors NON ! Quelle que soit la politique qui sera menée elle devra l’être avec cet objectif impératif. Et si pour une fois, nous prenons le temps de regarder autrement, il n’est pas difficile que les initiatives alternatives existent.

Ils sont finalement nombreux celles et ceux qui se battent, chacun dans leur domaine, à leur échelle et selon leurs affinités pour faire de la ville autrement. Il y en a tellement qui veulent le faire mais qui n’osent pas l’affirmer. Ils ont tous en commun de n’avoir jamais comme focale la valeur foncière ou spéculative que la ville peut apporter. Ils œuvrent pour plus d’écologie, plus de partage, plus d’accueil, plus de rencontres. Ils œuvrent pour abolir les frontières et les sectarismes. 

À défaut d’une liberté qui n’existe plus depuis que l’on a construit des murs pour les enfermer dedans, ils tracent des pistes, des chemins et des voies vers un honneur et une dignité à recouvrer.

Si l’architecture veut devenir l’art social culturel et politique qu’elle revendique alors qu’elle ne l’a jamais été, elle doit cesser d’être au service de ses commanditaires mais doit accompagner ceux-ci afin qu’ils proposent des programmes au service des gens, au cœur de l’intérêt général. Alors seulement, elle deviendra un véritable vecteur de modernité et offrira des possibles. À ce titre, les architectes doivent devenir les acteurs engagés pour construire la ville à venir. Maintenant !

Tribune par Matthieu Poitevin publiée sur Usbek&Rica le 20 juin 2024