Apprendre à regarder
Il suffit parfois de lever les yeux. Installé à Marseille, MATTHIEU POITEVIN prend sa propre ville comme terrain d’investigation. Il y découvre le revers de l’architecture, riche d’invention et de vie. C’est alors son propre regard qu’il soumet à celui des autres.
Inviter des architectes, des maîtres d’ouvrages, des politiques, c’était bien de le faire avec des gens qui n’ont d’habitude pas accès à ce type de manifestation. Plus que de parler des rapports Nord-Sud c’est ce qu’on avait décidé au départ. Il y avait certainement des architectes, des intellectuels et des politiques, ailleurs, dans les pays pauvres, les pays que l’on ne voit pas et qui ne sont pas médiatisés, dont les interventions, les modes de pensée, les modes d’action, sont certainement aussi intéressants que les nôtres. Ce rapport d’échanges et de rencontres était la seule chose intéressante à faire, je crois. L’architecture, comme le reste, vit dans un vase clos, extrêmement cadenassé. Avec cette approche, on ouvrait la porte à des formes d’échanges et de rencontres qui allaient au-delà de l’architecture et de la représentation du savoir-faire architectural d’un pays.
Considérer les rapports Nord-Sud, dans leur globalité, c’est parler de trois milliards de personnes qui vivent dans des situations de misère absolue. C’est un thème si terrible qu’il ne peut être pris à la légère. Nous avons adopté ce principe d’invitation parce que nous n’avions pas le temps de l’analyse, ni de rencontrer les gens pour savoir ce dont ils ont besoin sans avoir jamais été les voir. Je ne me sens ni le droit ni la capacité de dire ce qu’il faut et ce qu’il ne faut pas pour trois milliards de personnes que je ne connais pas.
En revanche, je peux parler de ce que je connais. La seule chose que je peux connaître vraiment bien, parce que c’est ma ville et que j’y vis, que la misère y existe, c’est Marseille. C’est pourquoi j’ai choisi d’en parler. Marseille, je connais. Le reste du monde, je ne connais pas. Il faut arrêter de considérer qu’on a un rôle de démiurge dans le monde, je ne sais quelle aura magique qui permettrait de résoudre les problèmes du monde. Moi, je ne m’en sens pas capable. S’il se trouve quelqu’un pour le prétendre, très bien, moi pas. Mme truc, c’était de faire un préambule, et d’inviter des gens d’ailleurs pour parler des problèmes qu’ils connaissent. Moi, je pouvais parler de ma ville qui a des problèmes. C’est l’une des villes les plus pauvres de France.
Si jamais on apprend quelque chose quand on est architecte, c’est à regarder, simplement, les choses. Apprendre à regarder. Je me suis dit que la seule chose à faire était de montrer qu’il y avait des choses intéressantes, sensibles, émouvantes, en dehors de l’action de l’architecture. Ce n’étaient pas les façades, ni leur calaminage, ni l’ordonnancement des volumes que je voulais montrer, mais comment la vie peut transpirer des bâtiments, hors de la vue des lois, des règlements, et donc des architectes. Les cours, que personne ne voyait, ou les toitures, ou les pignons arrière.
J’ai invité un ami photographe, PHILIPPE RUAULT pour lui montrer ce que j’avais envie de montrer. Il a un œil plus exercé que le mien pour les prises de vue. On a fait un tour de Marseille en voiture, à pied, pour essayer de photographier ces lieux d’appropriation, de récupération, de vie libertaire et bordélique. C’est ce qui en fait le charme. C’est un peu comme des greniers. On a fait cent diapositives qui seront diffusées sur le vaporetto, soit à la place des images publicitaires dans les cabines, soit simplement par des projections qui seront proposées à mes invités et qu’ils sont appelés à commenter selon leurs affinités, ou selon leur discipline.
Matthieu Poitevin