3%

Il faut supprimer les écoles d’architecture, elles ne servent plus à rien.

Elles avaient du sens quand les architectes pensaient pouvoir changer le monde ou, à défaut, le rendre meilleur, quand les collectivités et les bailleurs avaient de quoi financer des projets qu’ils souhaitaient innovants et pertinents.

Mais il n’y a plus d’argent pour les projets publics et l’audace des projets privés est réduite à des bâtiments marketés.

Les  critiques d’architecture dignes de ce nom se battent contre le courant pour faire valoir ce qu’il reste de qualité dans ce métier malgré l’adversité, les autres se répandent dans des écritures convenues sur le net et au mieux se font le témoin de collectifs qui pensent résister au monde comme il va, à coups de palettes de chantiers et de containers de bons sentiments.

Quoi qu’il en soit, l’intelligence artificielle a déjà commencé à dégommer tout ça. Des algorithmes sont créés pour proposer le logement le plus adapté à la cible visée. On ne fait plus de projet pour des gens, on propose un produit à un client. L’architecte libéral sert la soupe au commanditaire pour lui permettre de faire tourner son bilan.

Sa seule visibilité, son étendard, c’est d’aller se faire voir, dans les salons où l’on imagine bien comment il y est considéré. Il ne représente au mieux que 3% du bilan d’une opération. Comment alors ces 3% peuvent-ils prétendre avoir le moindre poids ? Ces algorithmes auront tôt fait de rendre obsolète ce penseur de ville et cet agitateur de vie que devrait être l’architecte.

On en est là.

Mais voici qu’arrive la grève des ENSA qui formulent maladroitement leur colère. Et cette colère, naïve et corporatiste à souhait, rend ce mouvement dérisoire.

À croire que Macron a raison de penser que l’architecture n’est plus une discipline culturelle mais un strict outil d’accompagnement à la transition écologique. Sa logique de baisse des crédits est d’entraîner les écoles d’architecture vers un modèle anglo-saxon : des écoles privatisées en totalité. Il faut se rendre compte de ce que cela signifie. L’enseignement de l’architecture ne sera plus un service public, plus une priorité de la République.

Quel monde laisserons-nous alors ?
Quelle machine fera preuve d’intuition et d’audace ?
Quel logiciel prendra le risque d’expérimenter ?
Que se passera-t-il si l’on essaie plus rien ?
Si l’on ne revendique plus rien d’autre que son confort personnel ?
Si l’on ne projette plus le monde pour le rendre meilleur ?
Si le monde est laissé à des spécialistes plutôt qu’à des rêveurs ?
C’est simple pourtant : il en mourra.

Si elles ne sont plus que des chapelles de professionnels aigris et d’universitaires déconnectés, les écoles d’architecture disparaîtront et l’architecture dans leur sillon. Le  poids administratif et financier finira d’ensevelir les possibilités de faire.

Mais, en premier lieu, qu’en disent nos étudiants ? À lire leurs déclarations, à force de communiqués de presse, leur ambition est de mener des études confortables pour accéder à une vie professionnelle conformiste. Si telle est leur ambition, ils feraient mieux de se former dans une école de commerce.

Cela préfigure-t-il une ville sans œuvre ? Faire œuvre, c’est contraindre le réel à l’idée du monde tel qu’on l’imagine, pour y trouver sa place.

Comment redonner de la noblesse à ce métier bafoué ? Notre seule quête, c’est la recherche de la beauté, et non la performance programmatique, technique ou financière.

L’école d’architecture est le dernier endroit où l’on peut rêver la ville telle qu’elle pourrait être, autrement. Où l’on peut rêver la vie de manière collégiale et transdisciplinaire.

Encore faut-il le faire ! Il faut le faire encore !

Tribune par Matthieu Poitevin pour L’Architecture d’Aujourd’hui, Février 2020
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