Ode de l’architecture
Je suis un ringard, un ancien, un crétin qui pense que la beauté et l’intelligence peuvent rendre les lieux vivants, un animal en voie de disparition et par conséquent il faut me préserver car sinon vos enfants ne verront ceux de mon espèce qu’empaillés au-dessus de votre cheminée. Quoique les cheminées, c’est pas très bio.
Le pays des lumières semble depuis longtemps dans l’ombre des géants ou de pays émergents. Ce pays qui a vu naître les architectes révolutionnaires et qui fut si longtemps à l’orée des nouvelles idées disparaît peu à peu de la scène culturelle architecturale internationale, comme en témoigne la récente sélection de la biennale de Venise.
Pourtant, jamais la France n’a exporté autant d’architectes à l’étranger. La France des architectes serait-elle devenue un pays de marchands ? L’architecture ne peut se réduire à savoir faire commerce.
Le pays qui a vu apparaître les concours d’architecture, geyser de talents et d’audaces, est aussi le pays qui invente le PPP pour que l’architecte travaille pour l’entreprise et non plus l’inverse.
La source s’est tarie, l’élu n’a plus le sou, le voilà contraint de transformer sa ville en produit financier. La question pour lui n’est plus d’expérimenter une autre façon de faire de la ville anticipant son explosion en constatant qu’elle craque de toutes parts. La ville n’est plus qu’un vaste centre commercial et le citoyen n’est plus un citadin mais un client. Ça ne marche plus ce modèle.
Il a peur l’élu, alors il lui faut trouver encore du foncier pour le vendre au plus offrant. Les villes se copient les unes les autres en essayant de gommer peu à peu leurs particularismes. Ça n’a plus de sens, ça n’offre rien, les villes au lieu de s’ouvrir et d’accueillir, se referment et se vendent. On chasse l’espace gratuit, on ne décide plus, on ne dessine plus de rues mais des îlots et par conséquent, plus de mitoyenneté donc plus de conscience de l’altérité. La ville se privatise. Le but clairement affiché est de faire monter en gamme les quartiers pauvres, mais alors où met-on les pauvres ?
Ainsi la ville a vu apparaître des nouveaux professionnels de la ville, une sorte de génération spontanée ; les urbanistes, mieux les urbanistes-paysagistes, pas paysagistes seuls, eux sont des indiens des villes. Même les architectes aujourd’hui se prétendent urbanistes comme si n’être qu’architecte n’était plus assez vendeur.
Il faut louer les municipalités qui lancent encore des programmes culturels comme le ciment de la cohésion sociale, ces élus-là sont des héros ! Il faut célébrer ceux qui travaillent encore dans les ors des palais décrépis ou des toutes petites mairies pour oser encore investir dans un équipement public où l’on peut se rencontrer sans catégorisations sociales ou économiques pour que la ville évolue et offre “un mieux vivre ensemble” comme on dit aujourd’hui.
S’exposer : qu’on se le dise, l’architecte se doit d’être la sentinelle de la ville, il est en à la fois le gardien et le poète. Ce n’est pas l’élu ou le promoteur qui doit faire la ville, eux la produisent, c’est à lui de prendre ses responsabilités, c’est lui le chevalier romantique et courageux, c’est l’architecte.
Certains verront dans ces propos un air suranné et corporatiste. Être désuet je veux bien mais corporatiste, sûrement pas, faut pas déconner quand même. Il ne s’agit pas de l’architecte démiurge au-dessus de tout qui, habité d’une grâce divine grotesque, décrète le projet, mais plutôt de celui qui prend comme matière première le temps, les personnes et le vent, qui les écoute, s’y confronte aussi pour en conscience proposer in fine des pistes radicales fortes et simples. Rien n’est plus dur que de faire simple. Chacun doit pouvoir se sentir acteur de ce processus pour qu’à terme, il bouleverse notre vision et invente un nouvel espace.
Alors, enfin, l’architecte disparaît et il ne reste plus que l’architecture.
On s’expose quand on fait, on s’impose quand on défait, il doit faire, faire contre la défaite annoncée à défaut qu’il crève, il n’est que le fossoyeur de sa propre profession. À ce moment où l’effondrement de la confiance est telle que les choses les plus élémentaires sont jetées à bas jusqu’aux fondements républicains, la perte de repères, la peur de l’autre, la peur tout court est telle, que l’expression de la création architecturale la plus répandue ne devient que l’expression de cette peur, vide de toute prise de risque, de toute critique voire même de la plus simple prise de position.
La posture prend le pas sur la stature.
La peur et la beauté sont incompatibles.
Oui l’architecture est sur une ligne de front. De quel front au juste ? Que serait-elle censée scinder cette ligne ? Le bon du mauvais ?
Le beau du laid ? Le faux du juste ? L’essentiel de l’insignifiant ?…
Chacun peut se faire sa propre idée. Ce qui est clair par contre c’est que l’architecture se trouve sur une ligne de fracture, sur la façon de faire, la façon de transmettre, la façon de donner et celle de recevoir.
Elle n’est en cela que le pâle reflet d’un monde qui change à toute vitesse. On ne peut que pressentir la mutation qui s’opère. Il va plus vite que nous et rien ne peut empêcher ce sentiment étrange d’être à la traîne. Il faut un projet, un objectif commun pour ne plus subir les assauts ou les soubresauts d’un monde devenu incontrôlé qui chauffe aussi bien dans son climat écologique que politique.
À n’en pas douter, c’est par la culture que ce monde peut se réinventer. Au sens où il s’agit de cultiver et faire grandir la pensée. Soyons les jardiniers de nos ciboulots. C’est l’essence même de nos sociétés, son moteur. C’est par elle que toutes les idées nouvelles sont survenues, entraînant les grands mouvements de société. C’est de ça dont nous avons besoin, d’idées, de courants, pour autant que je sache, on va dans les musées pour admirer les œuvres, ou dans des salles pour écouter de la musique, je ne connais pas de musée de l’économie. La culture, c’est le présent, c’est l’avenir, c’est l’instrument, c’est aussi le meilleur antidote à la connerie.
Pas de faux-semblants, pas de stratégie d’un quelconque sous-marinier, L’ARCHITECTURE EST CULTURE !
Et comme dit le poète,
je ne suis pas paysagiste je ne suis pas urbaniste je ne suis pas designer je ne suis pas scénographe je ne suis pas poète
je ne suis pas là pour satisfaire le désir des gens je suis là pour les faire naître je ne prétends pas savoir ce qui est bon ou mauvais pour les gens, je ne suis pas un dictateur, je suis un auteur, je suis là pour répondre à la question et en susciter, je suis là pour vous faire imaginer, pour que vive l’architecture !
Matthieu Poitevin
Mai 2016