La ville est notre avenir, ne l’abandonnons pas aux financiers !
Et si, plutôt que de condamner la ville à devenir un gigantesque produit financier, nous laissions aux habitants la possibilité de la reconstruire pour la rendre plus habitable, plus ouverte, et surtout plus collective ? Une tribune de Matthieu Poitevin, architecte et Président de Va jouer dehors !
« Le Qatar compte environ 3 millions d’habitants, les femmes n’y ont aucun droit, le dernier légume à y avoir poussé se trouvait dans une poubelle oubliée de supermarché. Des milliers de personnes y sont mortes pour construire des stades aussi ostentatoires que ridicules et inutiles avec des pelouses climatisées, lesquels ont coûté des milliards de dollars. Et pourtant ! Les Etats-Unis boycottent les Jeux Olympiques de Pékin, et avant cela ceux de Moscou pour des raisons politiques et diplomatiques, mais pas l’insupportable mondial de foot au Qatar. C’est bien simple : ce pays bien connu pour son climat tempéré et sa démocratie exemplaire ne connaît aucune contestation politique internationale.
On ne cesse de nous abreuver de discours sur la transition écologique, de la nécessité d’agir à l’échelon individuel : mais quel danger chacun d’entre nous représente-il face à l’incurie et l’hypocrisie de certains de nos gouvernements ? Combien de temps pensent-ils qu’amuser les foules suffira à cacher leur cynisme destructeur ?
Jamais, peut-être, un tel mépris pour la planète et l’humanité, dépourvu du moindre idéal, n’aura existé.
Puisque la plupart de nos gouvernants sont incapables de nous inventer un futur, c’est à nous de nous y consacrer. Modestement au début, pas à pas, en tentant d’appliquer la pratique de l’avalanche qui montre que chaque flocon a son importance et pour cela, pousser les cailloux de tout en haut du sommet, l’air de rien, comme ça, en passant, viser juste tout de même avec l’espoir qu’ils embarquent tout sur leur passage. Et que l’avalanche d’un futur commun déboule pour transformer nos habitudes et repenser nos villes.
C’est par nos actions que nos gouvernants devront prendre conscience de la situation. Faisons en sorte que ces cailloux deviennent rochers avant d’être poussés dans la pente pour qu’à l’arrivée ils créent des sillons qui tracent la voie à de futures lois qui obligent à construire la ville autrement. Il faut parvenir à infléchir le rapport de force et leur faire considérer que le profit leur sera plus grand s’ils mènent leurs actions par et pour ceux qui vivent la ville plutôt que ceux qui en vivent.
La ville est notre avenir, c’est une évidence : il faut la faire et la refaire avec acharnement, encore et sans cesse, la rendre plus habitable, plus ouverte, plus collective !
C’est la ville qui rend les choses possibles ; c’est la ville qui doit inviter et inventer. Pour le moment, elle colmate, elle évite, et elle divise.
La question primordiale qui devrait être celle de n’importe quel responsable politique n’est pas de mettre en place des stratégies ridicules pour être réélu mais avant toute chose de prendre le temps, apprendre de ceux qui savent et réfléchir à comment réparer le monde qui nous entoure.
« Ce monde politique est en faillite, en faillite de pensée, en faillite culturelle et en faillite de courage »
Comment permettre à cette planète d’être habitable ? Comment recréer du lien ? Comment faire du commun ?
À défaut, chaque responsable politique devrait savoir qu’il n’y a aucun exemple dans l’Histoire où un système politique qui oppose, qui oppresse et qui divise ne finit pas par exploser.
Ce monde politique est en faillite, en faillite de pensée, en faillite culturelle et en faillite de courage. Nous les appelons responsables politiques de fait ; oui ils sont responsables de cette Bérézina. Ils ont depuis trop longtemps laissé faire, voire encouragé la vente de la ville à la découpe aux plus offrants, et pour en faire quoi ?
Rien à peu près, voire pire.
Des pans entiers de villes ont été quadrillés par les bouchers des villes que l’on nomme « urbanistes » et qui ont décidé de raser pour construire des morceaux de ville sans âme, anonymes, à l’identique partout, niant l’identité et la singularité des villes, dans le but de les standardiser. La ville a été transformée en un gigantesque produit financier constellé d’objets venus d’on ne sait quelle planète désincarnée au lieu d’être une source de constructions telluriques et issues de son sol.
Suivons la métaphore de la ville tellurique. Celle qui est faite dans un tissu et non dans une trame. Celle qui se télescope, qui s’imbrique, qui se touche et qui favorise les rencontres, le hasard, celle où le bric et le broc se conjuguent avec les ornements des différentes époques : une ville plus organique qu’organisée, en somme.
De la ville à la découpe, il faut repasser à la ville parcellisée.
Prendre en compte l’autre tout autant que soi.
Recréer de la mitoyenneté et de vrais espaces publics.
Avec un peu de chance et d’imagination, je suis certain que la rue saura nous réenchanter. »
Tribune par Matthieu Poitevin, publiée sur Usbek&Rica le 12 septembre 2022